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REPORTAGE

LE FAMILISTERE GODIN

Un reportage réalisé par Lalie DRAULT, Juliette LEFEUVRE et Morgane ZION


le familistere Godin
. -

Dans un contexte de mondialisation et d'augmentation de la concurrence, le travail est de plus
en plus ressenti comme une forme d'esclavagisme moderne : pressions de la direction sur la
productivité, flexibilité accrue des horaires, menaces sur la pérennité de l'emploi...
L'entreprise, qui devrait être un lieu d'épanouissement et de convivialité, redevient parfois
un lieu d'exploitation des hommes. Pour de nombreux salariés et citoyens, c'est le retour de
« Germinal » : des travailleurs que l'on paye le moins cher possible pour le bénéfice d'actionnaires
cyniques. L'exploiteur et les exploités. Une vision marxiste du monde du travail.
Pourtant, un autre rapport à l'entreprise est possible. Et, déjà au XIXe siècle, au moment
où le combat social faisait rage, certains patrons avaient pensé et organisé leur entreprise
d'une façon plus humaine. C'est le cas de Godin et de son familistère.
C'est au milieu du XIXe siècle que Jean-Baptiste Godin fonde son entreprise d'électroménager.
Mais, à côté des usines, il fait également construire des logements pour ses ouvriers.
Les premiers bâtiments d'habitation furent construits à partir de 1858 à Guise, dans l'Aisne.
Godin s'est inspiré du phalanstère de Fourier afin de créer son familistère. Il y a adapté ses
propres idées pour rendre plus réalisable son projet. Dans une époque où les relations
salariés - dirigeants étaient souvent conflictuelles, les employés du familistère vivaient
différemment l'entreprise : ils y vivaient et étaient associés à la réussite du projet.
L'usine n'était plus seulement un lieu de production mais était devenue un lieu de vie
et de convivialité.
De quelles manières le familistère Godin a t-il permis l'évolution des conditions de vie
et de travail de ses ouvriers ? Quel fut le contexte économique et social de sa création ?
Ce projet était-il viable dans un contexte de concurrence accrue ?

Dans la plupart des manufacture,s le travail était extrêmement pénible : plus de 15 heures
de travail journalier, avec pour unique pause 30 courtes minutes pour manger le midi et de
nombreuses sanctions quotidiennes.
De plus, la protection sociale n'existant pas encore, les éventuels accidents du travail étaient
à la charge des ouvriers. Aucun confort n'est présent dans les logements qui sont insalubres
et souvent exigus. Un ouvrier moyen gagnait environ 2 francs par jour, pour une journée
commençant à 5h et se terminant souvent après 20h.
Mais certains théoriciens ont imaginé des modèles d'entreprises où les salariés ne seraient
pas les victimes. Dans sa théorie, Charles Fourier voit le phalanstère comme un espace
coopératif pouvant accueillir 400 familles soit 2 000 personnes au milieu d'un domaine
de 400 hectares où l'on cultiverait fruits et fleurs avant tout.
Dans
La théorie des quatre mouvements, publié en 1808, Fourier décrit à loisirs les couloirs
chauffés, les grands réfectoires, et les chambres agréables, c'est-à-dire un ensemble de
bâtiments à usage communautaire qui se forme par la libre association et par l'accord
affectueux de leurs membres. Le phalanstère est un dispositif expérimental destiné à
prouver par la pratique la validité de sa théorie du monde social. Fourier met un point
d'honneur à définir les conditions géographiques de cette expérimentation.
En effet l'essai doit être localisé près d'un cours d'eau, sur un terrain qui peut fournir
la plus grande variété possible de culture mais néanmoins à proximité d'une grande ville.
Le protocole expérimental intègre un certain nombre de caractères sociologiques,
celui-ci doit en effet regrouper, selon des règles très précises, des personnes présentant
la plus grande variété possible en fortune, en âge et en caractère.

Contrairement à l'idée reçue, il n'y a pas qu'un pas de la théorique à la pratique, pourtant
certains entrepreneurs aux convictions sociales affirmées se sont essayé à appliquer
ses théories dans leurs usines. C'est la cas de Jean-Baptiste Godin et de son familistère.
C'est en 1846 qu'il installe à Guise une manufacture modeste d'un quart d'hectare, une
entreprise d'appareils de chauffage et de cuisine fabriqués en fonte, diffusant mieux la chaleur
que les anciens modèles en tôle. Les évolutions industrielles permettent à cette entreprise

de développer des ateliers spécifiques pour le moulage, l’émaillerie, l’ajustage et le montage,
ainsi que la menuiserie ou l’emballage ce qui élargit la superficie de l'entreprise qui passe
à 3 hectares en 1880. En 1887, 1526 employés travaillaient dans les usines du familistère.
En 1889, 1748 personnes habitaient dans les logements mis en place par Godin, soit
environ 460 familles. Et ce ne sont pas moins de 2500 employés qui ont été recensé en 1930.

Alors qu'apporte exactement le familistère aux employés ?
Une caisse mutuelle de prévoyance maladie est tout d'abord mise en place, ce qui n'est
pas fréquent en France à la fin du XIXe siècle. La propriété passe progressivement aux
mains du personnel par une formule d'actionnariat participatif aux bénéfices.
L'entreprise est ainsi hiérarchisé en quatre parties : les associés, les sociétaires,
les participants et les intéressés. Le travail est rémunéré à l'heure, le temps de travail
est plus faible et la rémunération plus haute que dans les autres entreprises.
Le familistère est un lieu de travail mais aussi de vie.
Chaque logement était construit d'une manière spécifique. La luminosité des appartements
et l'accès à l'eau potable sont des éléments importants qui améliorent sensiblement la vie
domestique des ouvriers et apportent un surcroît de confort. Une buanderie était également
à la disposition des ouvriers afin qu'ils puissent y laver et sécher leur linge sans causer
de problèmes d'humidité dans les logements. Mais également des douches et une piscine
dont l'eau arrivait à bonne température directement par les tuyaux de l'usine proche
des habitations. Mais Godin au-delà des logements privilégiés de ces employés, avait
également mis en place un système de protection sociale les assurant contre les risques
liés à la maladie, les accidents du travail et leur garantissant une retraite à partir de 60 ans.
Pour les enfants et l'ensemble des familles existaient également tout un ensemble de lieux
de savoir et de culture : des écoles mixtes obligatoires, une bibliothèque et un théâtre ont
ainsi été construits pour assurer l'éducation des enfants comme des adultes. Cela participait
d'une volonté d'éducation et d'émancipation car, avant les lois Ferry, faute de scolarisation,
les hommes n'étaient pas libres de choisir leur destinée. De plus, Godin lui même donnait
des conférences pour enseigner à ses salariés les bienfaits de la coopération. Des magasins
coopératifs étaient d'ailleurs installés devant le familistère dans lesquels les produits de
première nécessité étaient vendus au comptant, et dont les bénéfices étaient répartis
équitablement entre les acheteurs. Ces nombreuses améliorations étaient pour le bénéfice
de tous les employés, quelle que soit leur position dans l'entreprise.
Concrètement, cela se traduit par plus de convivialité et de bonne humeur dans l'entreprise ;
les employés créent des relations amicales entre eux, le théâtre et la bibliothèque leur
permettent de se distraire quotidiennement et d'acquérir une culture plus large.
Les ouvriers sont ainsi plus épanouis et moins soucieux des jours à venir, ils se consacrent
donc entièrement à leur travail tout en gardant une vie de famille. Ces ouvriers sont alors
privilégiés à côté des autres employés qui, eux, se tuent à la tâche.

Après la mort de Godin en 1888, l'association continua de fonctionner. Elle resta prospère
notamment grâce au renom de la marque. L'entreprise s'est longtemps maintenue parmi
les premières du marché, jusqu'aux années 1960. Sur le plan social les conditions de travail
et de protection sociale sont également restent restées en l'état, bien que Godin ait toujours
considéré l'association comme une étape dans le progrès de la condition ouvrière.